Dans Carnets d’un honnête homme, Frédéric Schiffter poursuit sa singulière carrière de moraliste désabusé, à la croisée de Cioran et de La Rochefoucauld, avec un zeste d’ironie à la Chamfort. Ce recueil est un bréviaire de réflexions mordantes sur la comédie sociale, la religion du progrès, l’engagement intellectuel, et le mythe du bonheur.

Schiffter s’attaque, sans fureur mais avec panache, à toutes les idoles modernes : le travail, la bienveillance, le militantisme, le sens de l’Histoire. Il préfère au vacarme du monde l’élégance du silence, à l’activisme la paresse cultivée, à l’utilité l’oisiveté lucide. Ce n’est pas un traité : ce sont des fragments d’âme, entre humour noir et délicatesse stylistique.

On croise Orwell, Chamfort, Machiavel, Montaigne, mais surtout Schiffter lui-même, dans ce qu’il nomme une “egographie” : l’art de penser à la première personne sans se prendre au sérieux. Un livre qui réjouira les amoureux d’une pensée exigeante, sensible, et volontiers provocante. À lire au soleil, loin des injonctions du monde.

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Avec Amin, Samir Toumi livre une œuvre saisissante sur les coulisses du pouvoir algérien. Porté par une plume vive et acérée, ce roman met en scène un écrivain pris au piège d’un projet littéraire qui le dépasse. Sollicité par un certain Amin pour écrire sur les arcanes du système, il découvre un monde où tout se monnaie, s’échange, se surveille. Le roman explore la frontière trouble entre fiction et réalité, manipulation et sincérité.

Les figures qui peuplent ce récit – politiciens, hommes d’affaires, hauts fonctionnaires, courtisanes – semblent sorties d’un théâtre d’ombres où règnent la duplicité et la rumeur. Le personnage d’Amin, fascinant et insaisissable, incarne à lui seul toute la complexité d’un système qui corrompt même les meilleures intentions.

Sans jamais sombrer dans la caricature, Samir Toumi interroge les responsabilités de chacun : faut-il se taire, collaborer, résister ? Peut-on encore écrire sans être récupéré ?

Un roman fort, dérangeant, et nécessaire, qui révèle l’Algérie contemporaine dans toute sa beauté meurtrie. À lire absolument.

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Avec Romans et théâtre, Félix Vallotton, célèbre peintre nabi, surgit là où on ne l’attendait plus : dans la noirceur d’une prose aiguisée comme une lame. Loin des couleurs et des aplats qui ont fait sa renommée picturale, l’écrivain qu’il fut en secret déploie une œuvre littéraire sans concession. Chaque texte, chaque pièce, chaque saynète fonctionne comme un révélateur des vices ordinaires : cupidité, hypocrisie, lâcheté.

Vallotton ne cherche ni à séduire ni à émouvoir. Il observe, classe, comptabilise. Son théâtre inverse les codes du vaudeville, laissant place à une vision crue des rapports hommes-femmes, où la domination change de camp. Ses romans, eux, refusent les conventions narratives : le journal intime devient procès-verbal, le roman-feuilleton se retourne contre lui-même.

Il en résulte une œuvre dérangeante, d’une modernité troublante, qui évoque autant le théâtre de l’absurde que les dissections morales d’un Bernhard. À lire non pas pour rêver, mais pour comprendre — et frissonner. Une exhumation littéraire magistrale.

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L’Incroyable imposture du fakir Birman retrace la fabuleuse supercherie orchestrée dans les années 1930 par Charles Fossez, un escroc visionnaire, qui inventa de toutes pièces un personnage nommé le fakir Birman. Ce dernier, interprété d’abord par André Cottin, puis par Sarim Maksoudian, devient en quelques mois une star du Tout-Paris, offrant des consultations occultes, des shows de crucifixion et de télépathie, et des horoscopes à la chaîne.

À partir de documents d’archives, d’entretiens et de recherches minutieuses, Cariguel reconstitue l’engrenage de l’imposture médiatique : des fausses séances de divination, une crucifixion simulée salle Wagram, des montages publicitaires novateurs et un culte de la personnalité alimenté par une communication redoutablement moderne.

Mais derrière les feux de la rampe se dessine une mécanique implacable : exploitation de la crédulité populaire, manipulation de la presse, grèves de dactylos surexploitées, et un Charles Fossez mégalomane, qui bâtit un empire sur des slogans hypnotiques et la promesse d’un avenir révélé. L’ouvrage dévoile aussi l’avidité du public pour les illusions, et met en lumière la naissance d’une astrologie industrielle, bien avant l’ère des influenceurs.

Sans jamais céder au sensationnalisme, Cariguel nous offre une autopsie d’un mythe médiatique.

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Ce premier tome de la biographie monumentale de Joë Bousquet s’ouvre sur une double mort : celle, symbolique, d’un enfant arraché de justesse au néant à sa naissance, et celle, bien réelle, d’un jeune homme brisé par un éclat de shrapnel en mai 1918. Entre ces deux seuils, Paul Giro reconstruit pas à pas la jeunesse d’un homme que la douleur psychique précède et prépare à la douleur physique.

De l’enfance carcassonnaise à l’entrée dans l’armée, le portrait qui se dessine est celui d’un adolescent en révolte contre l’ordre bourgeois, tiraillé entre le conformisme paternel et la tentation d’une vie intérieure intense. Giro déconstruit méticuleusement les mythes bâtis autour de Bousquet : il ne s’engage pas par bravoure patriotique, n’est pas encore l’écrivain de génie que la postérité révérera, mais un jeune homme hanté par la culpabilité et la peur, maladroitement amoureux et en quête de sens.

Les pages consacrées à la guerre sont d’une puissance rare : loin d’un récit héroïque, Giro montre l’effondrement intérieur, la tension entre courage et panique, et l’arrière-plan psychologique d’un suicide différé. Ce n’est pas la balle ennemie qui fait basculer le destin, mais une succession de choix et d’échecs intimes.

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Avec Je suis ma liberté, Nasser Abu Srour signe un texte à la fois bouleversant et saisissant, écrit depuis les tréfonds d’une cellule israélienne. Prisonnier à vie depuis 1993, l’auteur nous offre un récit où la frontière entre témoignage, poésie et méditation philosophique se brouille. À travers la voix d’un mur devenu narrateur, Abu Srour déploie toute la complexité d’une vie arrachée à la liberté mais tendue vers la dignité.

Son écriture, profondément incarnée, fait jaillir la lumière là où il n’y a que pierre, solitude et silence. Ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme, mais celle d’un peuple, d’une mémoire, d’une lutte. Le mur y devient le symbole de toutes les séparations – politiques, humaines, intimes – mais aussi le lieu d’une étonnante fécondité intérieure. Un ouvrage fort, qui ne se lit pas d’une traite mais s’apprivoise, se médite, se relit. Un cri d’humanité dans l’opacité de l’enfermement.

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Lequel de nous portera l’autre ? est un récit rare, de ceux qui ne quittent plus le lecteur. Violaine Lison y fait dialoguer sa voix avec celle de Léonce Delaunoy, jeune brancardier de la Première Guerre mondiale, dont les carnets ont traversé un siècle avant d’arriver entre ses mains. À partir d’un mouchoir adressé à un ami, d’un chapelet, d’un couteau gravé, de photos et de lettres, elle recompose une présence : un garçon de vingt ans qui observe les oiseaux tandis que les obus tombent, qui écrit pour survivre, qui aime pour tenir debout.

La force du livre réside dans cette double respiration : celle de Léonce, poétique, vibrante, parfois déchirée ; et celle de l’autrice, patiente, respectueuse, attentive. La relation entre Léonce et Herman, bouleversante sans jamais être dévoilée outre mesure, donne au récit son cœur battant. Lison n’interprète pas : elle éclaire, elle écoute, elle relie. Elle fait de la littérature un geste de soin, de réparation.

Ce livre n’est pas une biographie ni une fiction : c’est une rencontre. Et l’on en sort profondément ému, frappé par la force des liens humains capables de traverser la guerre, le temps et le silence. Une œuvre lumineuse et nécessaire.

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On referme la biographie de Thomas Meyer avec l’impression d’avoir suivi Hannah Arendt dans ses déplacements les plus concrets, plutôt que de l’avoir contemplée de loin comme une statue philosophique. L’auteur prend le parti de la vie vécue, en assumant la longue traversée des zones d’ombre : les arrangements familiaux de la bourgeoisie juive de Königsberg, la ferveur des années Heidegger, les hésitations de l’exil, les conflits avec les organisations juives comme avec les universitaires.

La grande force du livre est de replacer Arendt dans des collectifs : familles, cercles d’amis, réseaux militants, institutions juives, médias. Les années parisiennes, longtemps traitées comme une parenthèse, deviennent ici un pivot : Meyer montre une Arendt organisatrice, obstinée, parfois épuisée, qui passe ses journées à obtenir des certificats, à visiter des camps, à choisir quels enfants pourront partir. Cette expérience donne un tout autre relief à ses analyses ultérieures du totalitarisme et de la « mer de sang » séparant Juifs et Allemands.

Sans chercher à canoniser son héroïne, Meyer en restitue les angles vifs : jugement tranchant, goût de la polémique, fidélités blessées. On y gagne une Arendt plus incarnée, plus contradictoire aussi, mais d’autant plus nécessaire pour penser notre présent.

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